Du parfum dans le marc de raisin: un ingénieur trouve le chemin des « arômes cachés »

Extraire des senteurs de rose et des saveurs de vanille d’un vulgaire marc de raisin: un ingénieur de Dijon a trouvé comment « libérer les arômes cachés » de ce déchet de la viticulture.

Chaque année, plus de 10 millions de tonnes de marc sont produites dans le monde. De tous temps, l’homme a cherché à valoriser ces résidus secs qui restent après le pressurage: distillés pour en faire de l’alcool, répandus sur les champs comme fertilisants, transformés en panneaux d’isolation thermique…

Mais tout cela reste limité. Or les marcs contiennent des arômes rares et très recherchés.

« Le raisin contient cinq fois plus d’arômes cachés que ceux que nous ressentons », explique Maxime Haure, ingénieur pour la société de recherche en biotechnologie Atelier du Fruit, installée près de Dijon.

Mais ces arômes se trouvent associés à du sucre dans le marc, ce qui les rend inutilisables. « Quand un arôme est seul, on le sent. Quand il est lié à un sucre, on ne le sent pas », explique M. Haure.

Pour les « libérer », très peu de moyens existent et ils sont très souvent artificiels et synthétiques. « Nous, on voulait le faire naturellement », explique Alain Etiévant, directeur général d’Atelier du fruit.

Début 2018, Maxime Haure se lance donc dans une thèse visant à trouver le moyen de « libérer les arômes cachés » tout en « valorisant » les déchets. L’ingénieur se tourne vers son école, l’Agrosup Dijon, et en particulier l’équipe Fermentation et microbiologie qui travaille étroitement avec le Vietnam et le Cambodge.

Traditionnellement, l’Asie du Sud-Est utilise de microscopiques champignons pour provoquer la fermentation d’aliments qui deviennent ainsi plus facile à conserver, « comme le soja fermenté, le porc fermenté, le nuoc-mâm (sauce de poissons fermentés)… », explique Yves Waché, professeur en microbiologie à Agrosup Dijon et responsable du département Fermentation.

Maxime trouve le moyen d’isoler les souches qui permettent cette fermentation naturelle et de les rendre actifs en présence de marc de raisin.

Les ferments vont « aller manger le sucre, libérant ainsi l’arôme », explique-t-il.

L’ingénieur Maxime Haure dans son laboratoire à Dijon le 10 juin 2020
AFP / PHILIPPE DESMAZES

– Des déchets « positifs » –

L’innovation ouvre un champ d’applications gigantesque.

« Ces molécules-là sont parmi les plus utilisées dans l’industrie du parfum, notamment les déodorants car c’est ce qui donne le frais. Elles confèrent également des notes des vanille, de citron, de rose… », souligne Maxime.

L’industrie du parfum normalement les synthétise mais le secteur « recherche le naturel », ajoute Alain Etiévant.

« La tenue d’un arôme naturel dans un parfum n’a rien à voir avec un arôme artificiel. Et les rendus sont terribles », selon le directeur d’Atelier du fruit qui affirme avoir suscité l’intérêt d’industriels.

Des entreprises de Grasse, la capitale française des parfums, « nous ont contactés », révèle-t-il sans vouloir donner de noms.

Les débouchés sont également « énormes », selon M. Haure, dans la cosmétologie et l’agroalimentaire.

« On peut faire des produits plus faciles à digérer, diminuer le recours au phytosanitaire ou éviter les allergies », explique Yves Waché, directeur de thèse de Maxime Haure.

« On peut sublimer le goût des fruits, réduire de façon importante les sucres, conserver des fruits-légumes un an… », renchérit Alain Etiévant.

Car cette découverte permettrait aussi de transformer des déchets, comme des fruits ou des légumes pourris, en « produits positifs », selon Maxime Haure.

« Pour l’instant, c’est le raisin, mais il y a des arômes cachés dans énormément de fruits et légumes, dans les fraises, le thé, le café, les pommes. Ce n’est qu’un début ».

« Beaucoup de choses restent à faire », concède toutefois M. Haure. « On n’en est pas du tout au stade industriel ».

Reste en particulier à « acquérir la répétabilité », explique M. Etiévant. Car, actuellement, un ferment qui libèrera les arômes d’une fraise poussée à Carpentras ne pourra pas le faire de même manière pour une fraise « de Marmande ». « On a pour l’instant une scie ou une hache mais notre objectif est de trouver un couteau suisse ».

Maxime Haure, ingénieur en biotechnologie, montre un échantillon de marc de fruit, à l’université Agrosup à Dijon le 10 juin 2020 – AFP / PHILIPPE DESMAZES

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