Le gouvernement veut maintenant traquer les skieurs: le délit d’intention, spécialité française?

Le gouvernement envisage des «mesures restrictives et dissuasives» pour empêcher les Français d’aller skier à l’étranger à Noël. L’exécutif peut-il définir où les citoyens ont le droit de partir en vacances? Pour la constitutionaliste Anne-Marie Le Pourhiet, pas de doute, c’est un hors-piste juridique qui s’annonce.

Le virus SARS-CoV-2 aurait-il pris conscience des frontières? Les frontières internes de l’Europe, qui sont restées ouvertes à tous depuis le début de la crise sanitaire, pourraient bien désormais se refermer sur les Français eux-mêmes.

Emmanuel Macron a en effet annoncé le 1er décembre, à l’issue d’un entretien téléphonique avec le Premier ministre belge, que les pouvoirs publics planchaient sur «des mesures restrictives et dissuasives» afin d’empêcher les Français de partir skier à l’étranger durant les vacances de Noël, faute d’être parvenu à un consensus européen sur la question.

La raison n’est pas simplement sanitaire. Au-delà de prévenir les Français d’aller se contaminer à l’étranger, la mesure vise également à éviter la création d’«une situation de déséquilibre» avec les stations de ski françaises. Une interdiction sous le signe de l’équité qui fait suite à la décision du gouvernement de maintenir les remontées mécaniques fermées. Pour autant, la mesure interpelle. Au jeu des autorisations et interdictions, le gouvernement n’est plus à une contradiction près, à tel point que cette incohérente recherche de cohérence est pointée du doigt jusque dans les rangs de la majorité à l’Assemblée nationale.

​Une mesure qui ne toucherait bien sûr que les Français les plus aisés, mais qui semble agacer bien du monde. Dans une chronique au Point, Sophie Coignard ne manque pas de fustiger un «pseudo-égalitarisme» à la française, dressant un parallèle avec la décision de contraindre les grandes surfaces à fermer leurs rayons «non essentiels» au nom de cette même «équité» avec les magasins qui avaient été contraints de baisser le rideau.

Cela dit, tous ne croient pas au fait que le gouvernement mette ses menaces à exécution. Le droit ne se plie en effet pas à toutes les volontés:

«Juridiquement il aura le plus grand mal à traduire cela dans un texte contraignant», estime auprès de Sputnik Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit constitutionnel à l’université Rennes 1.

Concevoir un texte «acceptable pénalement» d’ici le début des vacances de Noël, afin de limiter l’accès des Français aux stations de ski étrangères, semble bien difficile. D’autant que les restrictions de déplacements liées au confinement devraient être levées.

Démultiplication des «délits d’intention» dans le droit français

Toutefois, une permissivité du Conseil constitutionnel pourrait offrir au gouvernement le trou de souris juridique où il pourrait s’engouffrer. En la matière, l’institution garante de l’État de droit en France aurait, aux yeux de notre intervenante, la fâcheuse tendance ces dernières années à «tout laisser passer» dès lors qu’on verse dans le délit d’intention. C’est ce qui inquiète le plus la constitutionaliste: l’approche même des autorités françaises dans leur traque de ces vacanciers qui partiraient à l’étranger pour skier.

«Tout repose sur une intentionnalité qui sera impossible à prouver et qui va donc être présumée systématiquement», met en garde Anne-Marie Le Pourhiet.

Reste à savoir quelles formes pourraient prendre les «mesures de contrôle» évoquées par le chef de l’État. «Une attestation sur l’honneur assurant qu’on n’a utilisé aucune remontée mécanique? Qu’on n’a emporté dans ses bagages ni chaussures de ski ni lunettes de haute altitude?», ironise Sophie Coignard dans sa chronique au Point.

Anne-Marie Le Pourhiet dresse plus encore une analogie avec ce que l’on peut observer dans d’autres dossiers, à commencer par le fameux article 24 de la loi de sécurité globale, qui anime le débat public ces dernières semaines. «On base l’incrimination sur ce que l’auteur de la photo va vouloir en faire, et il faut démontrer qu’il a l’intention d’en faire un usage malveillant… ça ne va pas être facile», estime la professeur de droit. Celle-ci tacle au même titre l’apparition du «féminicide» ou de circonstances aggravantes suivant les origines des victimes et des auteurs, comme dans l’affaire du meurtre de Mireille Knoll.

Les textes permettent donc aujourd’hui en France de juger un individu «en fonction de la soit disant finalité principale et l’intention» qui l’anime. Un examen des consciences auquel le Conseil constitution a accordé son blanc-seing, regrette la professeur de droit. Une logique dans laquelle s’inscrit cette volonté de soupçonner des individus partant à l’étranger d’avoir l’intention d’y skier.

«C’est le défaut du législateur actuel: réprimer la finalité de quelque chose, non pas l’acte lui-même mais le but dans lequel on le fait. Ce qui est bien évidemment improuvable et favorise l’arbitraire», résume la constitutionnaliste. On est en train de pointer du doigt la Pologne et la Hongrie pour des questions aberrantes d’illibéralisme, on ferait mieux de balayer devant notre porte!»

Seule mesure qui lui paraisse envisageable: exiger des résultats de dépistage au Covid au retour des vacanciers, afin d’isoler les malades en quatorzaine. Avant de tempérer: «Cela peut fonctionner dans les aéroports, à la limite les gares, mais pas pour les voitures». Imposer une quarantaine de 10 jours aux vacanciers à leur retour, une option choisie par l’Allemagne, pays à l’origine de cette vague de fermetures de stations de ski à travers toute l’Union européenne.

En tête de ces stations européennes qui pourraient voir affluer les Français pour la période des fêtes, celles de Suisse, d’Andorre, de Bulgarie, ou encore d’Autriche, alors même que cette dernière tient sa part de responsabilité dans la polémique actuelle. En février, les autorités locales d’Ischgl, station huppée du Tyrol, avaient retardé sa fermeture administrative pour des motifs économiques. Résultat, un cluster d’envergure internationale: plus de 6.000 touristes étrangers issus de 45 pays affirment y avoir été contaminés.

Par Maxime Perrotin © AFP 2020 OLIVIER CHASSIGNOLE

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