Violences conjugales: « Beaucoup de premières fois » pendant le confinement, selon un policier

Dans son secteur du centre de Marseille, où les violences conjugales ont représenté 75% des plaintes au cours des deux mois de confinement, Didier Khatchadourian, brigadier-chef de police spécialiste de ces violences, a vu « beaucoup de premières fois ».

« Le confinement joue sur le mental des individus, on a pu observer des situations extrêmement tendues dans les couples », observe dans un entretien avec l’AFP M. Khatchadourian.

Le policier marseillais, qui se consacre depuis cinq ans aux violences familiales, a bénéficié, depuis le commissariat de Noailles, à deux pas du Vieux-Port, d’une tour d’observation sans égale. La division centre, à laquelle il est rattaché, couvre aussi bien les arrondissements populaires du centre-ville que les quartiers chics du bord de mer.

Le policier Didier Khatchadourian (gauche) avec nun collègue, dans son bureau du secteur centre de Marseille, le 18 mai 2020
AFP / Christophe SIMON

Depuis le 16 mars, la majorité des interventions de la division centre ont concerné des violences dans des couples, comme la plus grande partie des gardes à vue.

Parmi tous ces dossiers, « beaucoup de premières fois ». « Je n’ai pas eu beaucoup de dossiers de récidive… C’était plus des +primo+, qui racontaient: +je ne sais pas ce qui lui a pris, il m’a frappée+ ».

Des membres de la brigade de police secours et de protection s’apprêtent à intervenir dans un immeuble, suite à des appels de voisins qui ont entendu des hurlements dans un appartement, à Paris le 7 mai 2020, avant la levée du confinement
AFP/Archives / LUCAS BARIOULET

Selon le policier, la situation inédite a poussé beaucoup de gens « à bout »: « Tout s’est lié: des gens ont perdu leur travail, ils ont des problèmes financiers, les enfants qui décrochent, parfois ils vivent à 6 dans 30m2… ». La consommation d’alcool en hausse, le manque de stupéfiants chez certains accros, a aussi pu accélérer les passages à l’acte.

Beaucoup de couples, aussi, ont vécu une promiscuité inédite, imposée par la situation sanitaire, qui les a fait « exploser ».

Certaines femmes étaient jusque-là « +protégées+ par le fait que leur mari travaillait », constate le policier. Au milieu des disputes et des coups, presque toujours des enfants, eux aussi exceptionnellement toute la journée à la maison, « des victimes collatérales, physiques ou psychologiques », pour la police.

Un homme, alcoolisé, est arrêté par la brigade de police secours et de protection, pour avoir frappé sa compagne, le 7 mai 2020 à Paris, pendant le confinement
AFP/Archives / LUCAS BARIOULET

– « Plus honte de parler » –

L’explosion des plaintes pendant le confinement –plus de 36% de hausse des déclarations au commissariat selon la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes Marlène Schiappa– vient aussi de la communication officielle et de la forte médiatisation du phénomène, juge le policier.

« On a franchi un cap depuis un bon moment, les gens n’ont plus honte de parler », assure M. Khatchadourian. Aujourd’hui, détaille-t-il, « si vous êtes victime de violence, toutes les associations sont avec vous, le domaine médical, la police, la justice… ».

Avec une priorité absolue: mettre la victime en sécurité, « s’assurer qu’elle a une autre adresse, que l’agresseur n’a pas le double des clés… ».

« Ma hantise, en temps que chef d’unité, serait qu’une personne décède alors que j’avais une plainte », assure M. Khatchadourian. En 2019, l’AFP a recensé au moins 126 cas de femmes tuées par leur compagnon ou ex, soit une femme tous les trois jours en moyenne.

Pour éviter le drame, de nouveaux dispositifs ont vu le jour pendant le confinement pour faciliter le dépôt de plainte, avec notamment un accueil des victimes dans des pharmacies ou des centres commerciaux, ou encore le chat en ligne avec des policiers.

Quand la police intervient, ce sont des vies entières qui basculent: « on se mêle de tout, on fouille tout, dans ces dossiers-là on est dans l’intimité absolue, on voit toute la détresse humaine ».

En dehors des cas de « flagrant délit », les enquêtes pour violence conjugale font l’objet d’un « travail de procédurier », décrit le brigadier-chef, qui a sous ses ordres neuf personnes dédiées à ces affaires. On monte un dossier à partir de la plainte: « Y a-t-il eu un précédent? Y a-t-il aussi des violences sexuelles? ». Les policiers confrontent aussi les versions, « car même si à 90% les femmes sont victimes, parfois les violences sont réciproques » ou même, extrêmement rarement, le fait de femmes.

Mais parfois une intervention suffit à désamorcer la violence. Pendant le confinement, la police a reçu beaucoup d’appels de voisins qui entendaient leurs voisins crier: « On a pu intervenir sur des disputes verbales qui ne touchaient pas le pénal, et trouver des solutions, notamment pour séparer les couples », raconte M. Khatchadourian, évoquant notamment une attestation signée à un homme pour lui permettre de retourner vivre chez sa mère à Montpellier et désamorcer le conflit.

Didier Khatchadourian, brigadier-chef de police spécialiste des violences conjugales, dans le secteur centre de Marseille, le 18 mai 2020

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