Super League : Le football a-t-il vraiment gagné ?

Le 19 avril dernier, les fans du ballon rond du monde entier se sont réveillés avec une grande stupeur après l’annonce de la création d’une mystérieuse Super League européenne regroupant dans un premier temps les 12 meilleurs clubs d’Angleterre, d’Espagne et d’Italie.

Après la première annonce et l’onde de choc créée dans le monde du football, les détails se sont rapidement précisés : la Super League serait donc un mini-championnat fermé avec 20 équipes dont 15 d’entre elles auraient une garantie de participation à chaque édition, un système identique au prestigieux championnat de basketball américain NBA, ou encore la Turkish Airlines EuroLeague en Europe, anéantissant en quelques heures le charme historique de la Ligue des Champions de l’UEFA.

Les six clubs anglais d’Arsenal, Chelsea FC, Liverpool FC, Manchester City, Manchester United et Tottenham Hotspur, les trois formations espagnoles de l’Atlético Madrid, du FC Barcelone et du Real Madrid ainsi que les trois équipes italiennes de l’AC Milan, de l’Inter Milan, et de la Juventus ont donc lancé ce putsch dans le football européen, en tant que membres fondateurs de la Super League. Une véritable déclaration de guerre à l’encontre de l’organisation européenne de football, l’UEFA qui se préparait à lancer son nouveau format de championnat : une nouvelle Ligue des Champions avec la participation de 36 clubs dès la saison 2024-2025.

Président du Real Madrid, Florentino Perez était l’homme fort de cette initiative polémique, l’Espagnol certifiant sur ses différentes sorties qu’aucune sanction ne pouvait les atteindre et que le tournoi débuterait dès la fin de l’été 2021.

Parlant d’argent durant toute son intervention dans une émission de télévision espagnole, Perez a même résumé cette initiative à une obligation : « Ce n’est pas une Ligue pour les riches, c’est une Ligue pour sauver le football. C’est faux de dire que les riches deviendront plus riches et les pauvres plus pauvres… Si nous avons plus d’argent, ce sera mieux pour tout le monde, car nous pourrons recruter des joueurs dans des plus petits clubs pour beaucoup d’argent. Cela les aidera également financièrement ».

Certes, les problèmes financiers liées à la gestion de plus en plus complexe de la comptabilité des grands clubs ces dernières années, l’augmentation du nombre de matchs sur une saison, combinés avec la crise sanitaire qui s’est installée depuis plus d’un an, a permis à Perez et ses associés de circonstances d’accélérer le processus de lancement de la Super League, un championnat quasiment fermé garantissant des moyens financiers colossaux.

Considérant cette initiative comme une déclaration de guerre, l’UEFA a indiqué que l’organisation restera « unie dans le but de mettre un terme à ce projet cynique, un projet fondé sur l’intérêt personnel d’un petit nombre, au moment où la société est plus que jamais en quête de solidarité. »
« Nous envisagerons tous les recours possibles, à tous les niveaux, juridiques comme sportifs, afin d’empêcher cela », a-t-on ajouté.

« Le football repose sur des compétitions ouvertes et sur le mérite sportif ; il ne peut en être autrement » expliquait un communiqué de l’UEFA.

Toutes les grandes fédérations de football européen ont unanimement condamné cet affront, menaçant avec la plus grande fermeté les clubs de leur championnat local respectif.

Les fans du ballon rond ont de suite fait leur choix sur les réseaux sociaux, exprimant pour une écrasante majorité leur colère quant à ce tournoi « du fric », évoquant la mort « cérébrale » du football, une exaspération critiquant l’absence de méritocratie encore en place avec la formule actuelle de la Ligue des Champions.

Ainsi plusieurs groupes de supporters en Angleterre comme ceux de Chelsea, ou encore de Liverpool ou Arsenal se sont rassemblés devant leur complexes sportifs respectifs pour dire clairement non à cette adhésion.

Des scènes de fans de Chelsea bloquant le bus de leur équipe favorite avant une rencontre de Premier League ont rapidement fait le tour des réseaux sociaux, des supporters soutenus par de milliers de commentaires sur Twitter.

Pire encore, la majorité des effectifs joueurs-entraîneurs des équipes concernées se sont retrouvés le lundi 19 avril au matin devant le fait accompli, sans consultation, ni explication, découvrant pour la plupart les informations, comme un supporter lambda, dans les médias.

L’entraîneur allemand de Liverpool, Jurgen Klopp, avait indiqué son incompréhension face à cette situation. « Les faits sont là et on va attendre de voir comment ça évolue. J’ai 53 ans, j’ai toujours connu la Ligue des champions… J’aime le fait que West Ham puisse se qualifier pour la saison prochaine, même si je n’en ai pas envie. Le plus important dans le football, ce sont les supporters et les joueurs », a-t-il affirmé.

A Manchester City, le coach espagnol, Pep Guardiola, avait aussi lancé des piques contre ses dirigeants en expliquant ses sentiments : « J’adore faire partie de ce club. Mais j’ai aussi mon avis ; pour le moment, ce n’est qu’une déclaration. C’est pourquoi c’est inconfortable pour les managers… Le sport n’est pas un sport lorsque la relation entre l’effort et la récompense n’existe pas ».

Immédiatement les déclarations ont fusé dans toute l’Europe, dans le monde politique comme sportif.

« Les projets de Super League européenne seraient très dommageables pour le football et nous soutenons les autorités du football dans leur action… Ils frapperaient au cœur du jeu national, et concerneraient les fans de tout le pays » a écrit le premier ministre britannique, Boris Johnson, sur son compte twitter.

L’ancien footballeur vedette de Manchester United, Gary Neville, n’a pas hésité, lui aussi, à tacler son ancienne formation lors d’une interview télévisée sur Sky Sports : « Je suis un fan inconditionnel de Manchester United, je suis dégoûté… C’est une farce ! C’est renier votre club, ça suffit ! Il faut que tous ces clubs soient durement sanctionnés, que leurs trophées leur soient retirés… Il faut empêcher ces clubs de prendre pouvoir ».

Avec le soutien de la FIFA et des six confédérations, les équipes concernées ont été prévenues formellement sur d’inévitables sanctions : « En cas de participation à toute autre compétition au niveau national, européen ou mondial, leurs joueurs pourraient se voir refuser la possibilité de représenter leur équipe nationale. »

Un autre couac, ayant sans doute son importance bien plus qu’il n’y paraissait, fût la non-présence de clubs allemands comme le Bayern Munich ou le Borussia Dortmund ou français comme le Paris-SG dans ce projet ambitieux de ligue fermée. Une position saluée par l’institution européenne de football UEFA.

La fronde populaire installée, surtout au niveau des fans, les six clubs anglais se sont immédiatement retirés du projet au bout de 48 heures, avec certaines écuries comme Liverpool ou encore Arsenal qui ont même présenté leurs excuses à leurs supporters.

John Henry, propriétaire de Liverpool, a eu des mots très forts dans une vidéo publiée sur le site du club des Reds : « Je tiens à présenter mes excuses à tous nos supporters pour le chaos que j’ai créé ces dernières 48 heures… Nous vous avons entendu, je vous ai entendu… et je présente aussi mes excuses à Jurgen, et à nos joueurs ».

Puis le club espagnol de l’Atlético de Madrid et les deux formations italiennes du Milan AC et de l’Inter de Milan ont suivi le mouvement de désistement, ne laissant que le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus du Turin dans ce projet mort-né.

Une déclaration de la formation turinoise s’en est suivie confirmant l’arrêt de la Super League : « La Juventus estime que le projet de Super League a actuellement peu de chances d’être réalisé sous la forme dans laquelle il a été initialement conçu ».

Le président de l’UEFA, Alexander Ceferin, avait été très clair : « Les clubs dissidents seront très sévèrement sanctionnés » sachant que trois des quatre équipes qualifiées pour les demi-finales de la Ligue des Champions 2020-2021 (Real Madrid, Chelsea et Manchester City) faisaient partie de cette initiative.

Finalement, Ceferin a préféré temporiser sur les éventuelles sanctions de ces clubs frondeurs, notant qu’ils avaient admis commettre une erreur, qu’ils étaient de retour maintenant et qu’ils avaient beaucoup à offrir au football européen.

Le « coup d’Etat » de la Super League a été très vite entériné et repoussé à l’heure actuelle, mais pour combien de temps ? Il faut dire que cette tentative n’a pas vu le jour essentiellement à la suite de vives réactions des fans européens, des joueurs et entraîneurs, mais des négociations en interne entre les différentes parties concernées. Les fameux douze et les institutions UEFA et FIFA ont sans doute été amorcé pour les prochaines années.

Le nouveau format de la Ligue des Champions de l’UEFA en 2024-2025 est aussi complexe qu’incompréhensible, les dirigeants européens devront sans doute revoir leur copie pour pallier aux attentes économiques et sportives des grands clubs, qui restent indéniablement les locomotives essentielles de ces organisations.

Même si la fronde populaire menée par les amoureux du ballon rond a réussi à faire faire demi-tour aux douze clubs dissidents, non, le football n’est plus qu’un simple sport, c’est toute une économie titanesque représentant plusieurs milliards d’euros dans le monde, avec des taux d’audience télévisés restant très élevés, et les grosses écuries veulent une part du gâteau plus conséquente.

Le président du Real Madrid et de la Super League, Florentino Perez, a malgré tout marqué les esprits de tous les dirigeants européens, laissant comprendre que finalement une scission peut intervenir en quelques heures malgré les mea culpa sincères (ou pas ?) des clubs ayant été tentés par cette aventure. Un projet qui parait ambitieux mais ayant pour objectif principal d’augmenter les recettes dans le football.

La question qui se posera dans les mois à venir sera sans nul doute de savoir s’il faut absolument générer plus d’argent pour sauver le football comme le confirme indirectement cette initiative échouée, ou bien revoir la copie actuelle de la gestion du football, avec des clubs au bord du gouffre, croulant sous les masses salariales et indemnités de transferts exorbitants.

La Super League semble avoir échoué plus par sa communication hasardeuse et son passage en force inacceptable dans les conditions actuelles, mais l’UEFA a bien compris le message : le débat est lancé, et l’avenir proche nous dira très rapidement si cet échec le fût vraiment ou pas ?

Fatma Bendhaou

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