Pr Raoult: «Il faut arrêter de penser que les gens vont vivre indéfiniment enfermés» – entretien exclusif

Depuis le début de l’épidémie, le professeur Didier Raoult, à la tête de l’IHU Méditerranée Infection, est en première ligne dans la lutte contre le Covid-19. Vaccins, variants, mesures sanitaires et traitements… Il fait le point sur la pandémie un an après son irruption dans la ville de Wuhan.

Il continue de mettre en avant le traitement par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine malgré des rumeurs mensongères qui ont circulé dernièrement. Il revendique même les taux de mortalité les plus faibles au monde pour son Institut. 

Avec l’arrivée des variants, notamment anglais et sud-africain, le professeur Raoult est une nouvelle fois au centre de l’attention, lui qui alertait sur des mutations du virus dès septembre, soit bien avant leur apparition officielle. Et s’il fait toujours l’objet de controverses au sein de la communauté scientifique, «nul n’étant prophète en son pays», la figure de la médecine française s’intéresse peu aux suppositions et expertises en tout genre. Il l’assure: il préfère se concentrer sur les faits scientifiques, son seul et véritable domaine. Entretien avec un épidémiologiste et chercheur acharné.

Le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, a affirmé en début de semaine que les variants du Covid-19 doivent être considérés comme l’équivalent d’une seconde pandémie. C’est en substance ce que vous affirmiez dès septembre, considérant qu’il n’y avait pas de rebond, mais de nouveaux virus mutants. La communauté scientifique se range-t-elle donc de votre côté sur cette question?

Pr Didier Raoult: «Je n’en sais rien! Je peux répondre à des questions scientifiques, celles qui portent sur les opinions des autres ne m’intéressent guère. Ce que j’ai dit n’était pas une opinion, c’était basé sur le fait qu’on avait des séquences de génomes différentes. C’est de la science banale. Après, que les gens se rendent compte plus ou moins tard ou plus ou moins tôt, ce n’est pas mon problème, le consensus scientifique m’indiffère. Il s’agit là de données basiques. Tout simplement. Et il n’y a pas de point de vue à avoir dessus. On regarde les séquence et, quand un certain nombre de mutations apparaissent, c’est factuel.»

Sputnik: Vous considérez que les variants apparus ces dernières semaines pourraient être causés par l’administration du remdesivir qui est, selon-vous un agent mutagène. Certains jugent que le vaccin ARN pourrait en être la cause. D’autres encore affirment, au contraire, que ces mutants se sont développés majoritairement dans des zones où l’on a laissé circuler le virus et qu’une vaccination massive aurait pu les empêcher. Ces explications sont-elles plausibles?

Pr Didier Raoult: «Il y a deux explications très claires et une troisième qui n’est qu’une hypothèse. Ce que l’on sait, c’est que des virus se sont développés dans des élevages de visons un peu partout dans le monde, avec des mutations considérables, transmissibles à l’homme. En particulier au Danemark et en Hollande. Nous pensons que l’épisode le plus fréquent en France, celui que nous appelons le Marseille 4, vient d’un élevage qui n’a pas encore été identifié. Ce fait qu’il existe des variants chez les visons qui ont été transmis à l’homme est donc prouvé. Que le remdesivir soit un agent mutagène est également un fait acquis. On l’avait déjà prouvé avec Ebola et sur d’autres coronavirus il y a trois ans. De plus, il avait également été montré que ce médicament, d’abord, n’était pas efficace et, ensuite, montrait des mutants lorsqu’il était séquencé notamment sur les personnes immunodéprimées et qui ont des virémies [présence d’un virus dans le sang, ndlr] chroniques. 

«Une maladie qui n’est pas très immunisante»

Quant à l’hypothèse selon laquelle le variant est apparu à cause du vaccin ou aurait pu être évité grâce à lui, nous n’en savons rien. Il n’y a aucune preuve pour l’instant. Tout le monde a un avis sur tout. C’est tout le problème de cette maladie. Il ne suffit pas d’avoir une expertise en biologie médicale pour savoir s’il faut confiner les gens, par exemple. Ce n’est pas le même métier.»

Une information a été relayée à tort, affirmant que vous concluiez vous-même à l’inefficacité de l’hydroxychloroquine. Qu’en est-il justement de son effet potentiel (seule ou combinée à l’azithromycine) sur les variants?

Pr Didier Raoult: «Autant que l’on sache, ces deux traitements n’entraînent pas de mutants. On a fait une méta-analyse là-dessus et ça diminue le risque de portage. Cela devrait donc au contraire diminuer le risque de transmission. Et je n’ai pour l’instant pas vu d’études avec des conclusions différentes des nôtres. Contrairement au remdesivir, qui est un antiviral synthétique et qui imite les nucléotides [molécules formant les éléments de base de l’ADN et de l’ARN, ndlr], l’hydroxychloroquine a un rôle beaucoup plus complexe. Elle augmente le Ph, ce qui n’est pas bon pour le virus, et joue également un rôle dans l’action immunitaire. Il faut rappeler encore une fois que l’hydroxychloroquine est très fréquemment utilisée et joue un rôle dans différentes phases de la maladie. À la fois au début pour empêcher le virus d’entrer et de se multiplier, mais aussi lors de la réaction inflammatoire.»

L’OMS a déclaré que la couverture vaccinale n’était sans doute pas suffisante pour stopper l’épidémie. Quelles sont les autres possibilités? Vous avez vous-même affirmé que l’échantillon nécessaire pour attester son efficacité n’avait pas été obtenu et que le vaccin n’était pas forcément la solution miracle pour tout le monde.

Pr Didier Raoult: «Pour ce qui est des stratégies vaccinales, il y a des maladies qui sont très immunisantes. Par exemple, la variole, la varicelle, les oreillons… Ce sont des maladies que l’on n’a qu’une seule fois. Trouver des vaccins est donc relativement facile, car nous savons devenir naturellement résistants et immunisés lorsque nous avons été infectés.

La grippe, c’est déjà très différent. Vous voyez bien que la réaction vaccinale n’est pas terrible et diminue de manière très importante avec l’âge. Dès 80 ans, elle marche d’ailleurs très mal. Le coronavirus lui ressemble un peu. C’est une maladie qui n’est pas très immunisante, avec des rechutes relativement tôt. Par ailleurs, lorsqu’il y a des mutations dans la protéine Spike (celle qui est réceptive au vaccin), il y a des chances pour qu’elles ne soient pas réceptives au vaccin. Ce qui est le cas pour les variants que nous avons ici.»

Faut-il tout de même miser dessus sachant qu’il est potentiellement inefficace sur certains variants? Qu’en est-il des autres vaccins, ceux qui n’ont pas reçu le feu vert du régulateur européen?

Pr Didier Raoult: «Je connais mal le vaccin russe. Mais, en ce qui me concerne, si j’avais dû en développer un, j’aurais choisi le vaccin chinois. C’est un vaccin dans lequel on met plusieurs souches et toutes les protéines y jouent un rôle. En cas de mutation, il reste quelque chose, un peu comme dans le vaccin contre la grippe. En revanche, savoir pourquoi ils ne sont pas homologués en Europe, ça n’est, encore une fois, pas mon domaine.»

Un troisième confinement est à prévoir. A-t-il (ainsi que le couvre-feu) un impact réel sur la circulation de l’épidémie, selon vous?

Pr Didier Raoult: «Personne ne peut dire que ça a une efficacité réelle. Maintenant qu’on a un an de recul, on le voit bien, ça n’est pas particulièrement remarquable.

«Il va falloir apprendre à vivre avec»

Selon moi, l’idée du confinement était de trouver une baguette magique pour arrêter l’épidémie or ce n’est pas du tout ce qui se passe. On assiste à plusieurs épidémies successives. Donc il va falloir apprendre à vivre avec. La mortalité est de l’ordre de 1 à 3 pour mille tandis que, habituellement, pour un pays comme le nôtre, elle est de l’ordre de 1,3 ce qui ne change pas non plus énormément et n’est pas très différent des années où la grippe sévit plus sévèrement. Il faut arrêter de penser que les gens vont vivre indéfiniment enfermés dans leur maison. Ça n’est pas une issue possible à mon avis!»

Une récente étude québécoise (laquelle n’a pas encore été validée) met en avant les bienfaits de la colchicine (anti-inflammatoire dérivé de la colchique) sur les formes graves du Covid-19. Les médias relaient l’information, mettant en parallèle ce remède avec la chloroquine. Qu’en pensez-vous?

Pr Didier Raoult: «La colchicine est un excellent anti-inflammatoire. En revanche, je n’ai pas d’avis sur son effet anti-viral. Ce qui m’intéresse avec l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, c’est qu’ils agissent à la fois sur le virus en freinant sa multiplication et ont tous les deux aussi l’aspect anti-inflammatoire. Mais il y en a d’autres qui pourraient jouer un rôle. La ciclosporine, par exemple, pourrait agir sur les formes graves. Je pense que l’on manque d’effets thérapeutiques. Les molécules extraites de produits naturels ont souvent des effets multifactoriels. La colchicine n’a pas été inventée pour traiter le paludisme, ni la quinine pour traiter le paludisme. Il faut retrouver l’idée que les molécules extraites de plantes peuvent avoir plusieurs effets.

Il y a depuis des dizaines d’années un paradigme qui veut que, pour chaque nouvelle maladie, il faille un nouveau remède. C’est faux! Notre modèle économique est antagonique avec la réutilisation de produits déjà existants, car ce n’est pas rentable. Pourtant, au XXIe siècle, des médicaments nouveaux qui ont réellement changé les choses sont rarissimes. Les molécules sont éternelles, elles sont le patrimoine de l’humanité.»

Par Adrien Peltier © AFP 2020 CHRISTOPHE SIMON

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