Pignocchi, l’aquarelliste subversif des Jivaros aux zadistes

Il a dessiné les Indiens Jivaros d’Amazonie et les zadistes de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique): l’ancien chercheur Alessandro Pignocchi, 40 ans, livre dans ses BD en aquarelles une lecture décalée et « subversive » de l’écologie.

Des mésanges punks confectionnent des cocktails molotov, Emmanuel Macron passe la nuit dans un pommier à observer une chouette tandis que la classe politique débat de l’introduction d’une part d’anthropophagie rituelle dans la culture occidentale.

Dans le monde de Pignocchi, l’animisme est devenu la pensée dominante et ce renversement du regard met en lumière l’absurdité du monde moderne, plongeant le lecteur dans un vertige philosophique.

Cette vision singulière, Alessandro Pignocchi l’a acquise à la lecture, à 26 ans, des « Lances du crépuscule » de l’anthropologue Philippe Descola. Dans ce récit de son séjour de trois ans chez les Jivaros Achuar, le professeur émérite du Collège de France note que « la nature n’existe pas » pour ces Indiens et que la distinction nature/culture n’est qu’une invention occidentale.

Un choc pour l’amoureux de la nature qu’est Pignocchi, qui cultive une « passion intense » pour les oiseaux depuis l’âge de 5 ans et qui, encore aujourd’hui, s’interrompt pour observer un hypolaïs polyglotte chanter sur un arbre (« un oiseau adorable »). Une passion si vive qu’il s’est évanoui sur une tour d’observation sous le coup d’une « overdose d’oiseaux », lors d’un voyage en Amazonie à 16 ans.

L’ancien chercheur Alessandro Pignocchi dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes, le 18 juin 2020
AFP / Loic VENANCE

« J’avais toujours considéré spontanément que, non seulement la nature existait, mais que la protéger, via le parc national, était l’horizon politique le plus désirable et utopique qu’on puisse imaginer », explique-t-il. Apprendre que « chez les indiens d’Amazonie, il n’y a pas de nature, que les plantes et les animaux sont des êtres sociaux et sont mêlés à la vie sociale, ça apporte un bol d’oxygène, c’est une sorte de libération intellectuelle. »

Le chercheur en sciences cognitives, ancien élève de l’école normale supérieure (ENS) et auteur d’une thèse sur « les intentions du dessinateur », décide alors d’aller à la rencontre des Achuar sur les traces de Descola. Un séjour qu’il raconte dans son premier roman graphique Anent (Steinkis, 2016), « admirable de sensibilité », selon la préface de l’anthropologue.

Mais, sans parler la langue des Achuar, il peine à saisir leur « composition du monde ». C’est finalement sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), découverte sous la plume du philosophe Bruno Latour, qu’il rencontre cette relation de sujet à sujet avec les « non humains ».

L’ancien chercheur Alessandro Pignocchi dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes, le 18 juin 2020
AFP / Loic VENANCE

– un anthropologue Jivaro au café de la gare –

Arrivé dans le bocage nantais juste avant l’opération de gendarmerie d’avril 2018, ce petit-fils de résistante communiste y fait l’expérience d’une « politisation expresse », décrite dans « La recomposition des mondes », première BD publiée dans la collection Anthropocène au Seuil et vendue à 20.000 exemplaires.

« Alessandro Pignocchi est un auteur exceptionnel, créatif, subversif, original et drôle: quel que soit le format j’aurais eu plaisir à le publier », loue Christophe Bonneuil, directeur de recherches au CNRS et créateur de la collection.

Intarissable, le dessinateur franco-italien, initié à l’aquarelle grâce à l’ornithologie, a parallèlement ouvert un blog de dessins () dans lequel il raconte un monde uchronique dominé par la cosmologie Achuar. Un anthropologue Jivaro y étudie les rites des derniers survivants de la civilisation occidentale au café de la gare de Bois-le-Roi (Seine-et-Marne).

Ces aquarelles, destinées avant tout à « faire marrer mes potes en faisant des blagues débiles », ont donné lieu à trois BD: « Petit traité d’écologie sauvage » (Steinkis, 2017), « La Cosmologie du futur » (2018) et « Mythopoïèse » (2020).

Habitant de Bois-le-Roi mais habitué de Notre-Dame-des-Landes, cet urbain qui a grandi à Rome et Paris espère une multiplication des ZAD, « des endroits où l’économie est mise hors d’état de nuire » pour que les plantes, les animaux et les hommes ne soient plus seulement considérés comme des objets à exploiter ou à protéger. Car « le fond du problème, c’est que l’économie ne peut tolérer que des objets », dit-il.

En attendant, il a déjà dessiné « La relance » sur son blog, dans laquelle Bruno Le Maire est mangé sous forme de soupe par Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Et prépare un livre d’entretiens et de dessins avec Philippe Descola pour début 2021.

  1. http://puntish.blogspot.com/

L’ancien chercheur Alessandro Pignocchi dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes, le 18 juin 2020 – AFP / Loic VENANCE

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