L’occasion de protéger le sport d’un modèle spéculatif, selon Association des ligues pros

Il reste « encore une quinzaine de jours » pour décider si les principaux championnats français peuvent reprendre, estime Patrick Wolff, le président de l’Association nationale des ligues sportives professionnelles (basket, cyclisme, football, handball, rugby, volley).

S’il juge que la crise impacte tous les clubs, il estime qu’elle doit être l’occasion de « reconstruire des fondamentaux différents » pour protéger le sport professionnel d’un modèle spéculatif.

Q: Quel impact économique la pandémie de coronavirus va-t-elle avoir pour le sport professionnel français? On évoque 1,45 milliard d’euros si la saison s’arrête…

R: Le travail d’estimation n’est pas terminé. Ce n’est pas la même chose si les championnats reprennent ou s’ils s’arrêtent, si les télés paient ou pas. Quel sera l’impact du chômage partiel, des baisses de salaires? On parle tous de la fin de saison, mais la saison prochaine ne sera pas évidente. L’économie ne sera pas lisible, au mieux, avant la fin de l’année. Donc les entreprises qui font du sponsoring seront peut-être amenées à revoir leurs positions la saison prochaine. Trop de paramètres sont en suspens.

Q: Craignez-vous que les championnats ne puissent pas reprendre?

R: Pour terminer les saisons, il faut disposer d’un nombre de jours suffisants pour éviter des accidents pour les joueurs. Il faut pouvoir reprendre début juin. Pour pouvoir reprendre les entraînements à temps, il faut prendre une décision début mai. On a encore une quinzaine de jours pour se décider. Dans tous les cas, il y aura des pertes.

Les coupes d’Europe, ça sera plus compliqué. Il y a des pays qui sont rentrés dans la crise plus tard que les autres. Si nous, on pourrait repartir -ce qui n’est pas sûr- il n’est pas certain que les autres puissent le faire.

Q: Dans le contexte actuel, les baisses de salaires sont-elles une bonne solution ?

R: Ma réponse peut surprendre, mais je n’en suis pas sûr. Quand un système est affaibli, il y a des prédateurs. On peut imaginer que si les salaires sont diminués de façon sensible, certains joueurs vont entendre les sirènes d’autres clubs, étrangers ou pas, qui seront tentés d’injecter des sommes importantes pour tenter de récupérer des joueurs à bon prix. Ce n’est pas spécifique au foot.

Q: Cette crise révèle-t-elle la fragilité du système ?

R: J’aimerais qu’on me cite un secteur qui n’est pas secoué. La densité de la crise ne dépend pas du budget du club, elle touche une grande équipe de foot comme une équipe de volley. C’est une question de proportions. Dans un sport comme le foot, il y a énormément de droits télés. Les sports qui n’ont pas de recettes de diffuseurs, ils doivent vivre de leur économie, de leurs spectateurs, de leur sponsors locaux. Cette crise touche tout le monde. Aujourd’hui, 90% des clubs sont dans l’économie réelle, et vont devoir s’ajuster à cet espace économique. Vous en avez 10%, tous sports confondus, qui sont un peu hors-sol, parce qu’ils bénéficient de ressources exceptionnelles, pour diverses raisons. Ceux-là aussi sont vulnérables.

Le système est déséquilibré parce que le sport est construit sur un seul objectif, c’est d’être champion à la fin de l’année. Alors que les entreprises traditionnelles sont construites sur un système qui consiste à gagner suffisamment d’argent pour rester sur le marché, payer ses salariés et faire des investissements. Dans le sport, le couillon, c’est le finaliste qui a de l’argent à la banque mais qui a perdu le match contre quelqu’un qui en a dépensé beaucoup plus, voire de façon totalement déraisonnable.

Q: Qu’attendez-vous du gouvernement ?

R: Dans l’urgence, on ne demande rien d’autre que le traitement des entreprises, ce qui veut dire un report de délai pour certaines dépenses, des facilités de trésorerie pour passer le cap. C’est en place et ça marche plutôt bien. Après, le gouvernement aura un rôle pour faciliter la relance et nous aider à reconstruire des fondamentaux un peu différents. Le sport n’est pas, contrairement à ce que beaucoup disent, un spectacle. Il faut qu’il y ait un certain nombre de règles pour permettre de sauver cet état d’esprit. Virus ou pas virus, le moment était venu de s’occuper de ça.

Actuellement, ce qui n’est pas sain, c’est que dans un certain nombre de sports, on essaie de nous entraîner vers des modèles américains, qui sont des modèles purement financiers, des modèles de spectacle absolument pas adaptés à la mentalité européenne. Quand je vois une société (CVC Capital Partners, ndlr) racheter toutes les compétitions de rugby en Europe, je me dis qu’il faut un système pour empêcher ça.

Propos recueillis par Andrea BAMBINO


Il reste « encore une quinzaine de jours » pour décider si les principaux championnats français peuvent reprendre, selon Patrick Wolff – AFP/Archives / FRANCK FIFE

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