La Floride s’attaque à la censure des réseaux sociaux: l’arroseur enfin arrosé?

Le gouverneur de la Floride a signé une loi pour contrer la censure des réseaux sociaux. Le républicain Ron DeSantis veut d’abord empêcher les géants comme Twitter et Facebook de suspendre les comptes de candidats aux élections. Pour Michelle Blanc, experte des médias sociaux, les États doivent encadrer les Big Tech pour les rendre plus éthiques.

Le Sunshine State, principal gardien des libertés aux États-Unis? Après être apparue comme un État rebelle, à la politique sanitaire souvent jugée trop souple, la Floride s’en prend à la censure des médias sociaux. Le 24 mai dernier, le gouverneur Ron DeSantis a fait adopter une loi visant d’abord à empêcher les grandes plateformes de suspendre les comptes de candidats aux élections.

Une loi contre «l’idéologie dominante de la Silicon Valley»

Pour faire respecter leur liberté d’expression, les citoyens qui se sentent lésés par le retrait de certains contenus auront en outre le droit de poursuivre les Twitter, Facebook et autres YouTube devant la juridiction de Floride.

«Si les censeurs de la tech appliquent des règles de manière inégale, pour discriminer en faveur de l’idéologie dominante de la Silicon Valley, ils devront maintenant rendre des comptes», a déclaré Ron DeSantis à l’occasion de l’adoption de la loi, laquelle entrera en vigueur le 1er juillet prochain.

Experte québécoise des médias sociaux, Michelle Blanc estime en entrevue qu’il s’agit d’un «pas dans la bonne direction». Elle rappelle que les grandes plateformes comme Twitter et Facebook se sont toujours servies de l’article 230 du Communications Decency Act (loi limitant la responsabilité des réseaux sociaux) pour bloquer ou retirer certains contenus. Toujours sans en assumer les implications juridiques et les orientations éditoriales.

«Les plateformes font de la censure, mais se plaignent maintenant que des États comme la Floride veulent les censurer. Quelle ironie! […] Il est aberrant que les réseaux sociaux soient la seule industrie au monde exonérée de ses responsabilités tant au civil qu’au criminel. […] Les Big Tech veulent avoir un choix éditorial sans être responsables, ce qui est non éthique et incohérent», dénonce Michelle Blanc au micro de Sputnik.

La mesure législative répond à la suspension des comptes Twitter et Facebook de l’ex-président Donald Trump, à la suite de l’assaut du Capitole du 6 janvier dernier. Des interventions de Trump avaient déjà été en partie censurées par Twitter dans la foulée de la dernière élection présidentielle.

Une «manœuvre politique» des Républicains?

Dans ce contexte, la décision du gouverneur républicain apparaît comme une «manœuvre politique», analyse Michelle Blanc, auteur, entre autres ouvrages, des Médias sociaux 201 (éd. Logiques, 2011). Une sorte de vengeance contre l’establishment démocrate?

«DeSantis se positionne sans doute comme prochain candidat présidentiel. Outre l’aspect politique et stratégique, il y a un fondement juridique important. En revanche, on comprend que la loi se limitera au territoire de la Floride. Les États juste à côté resteront sous l’emprise totale des Big Tech. Dans l’idéal, il faudrait une loi fédérale qui s’inspirerait de celle de la Floride», suggère notre interlocutrice.

Les plateformes jugées coupables d’avoir suspendu le compte d’un candidat aux élections nationales devront s’acquitter d’une amende allant jusqu’à 250.000 dollars par jour. Ron DeSantis a dénoncé le fait qu’une personnalité comme l’ayatollah Khamenei puisse inciter à «tuer des juifs» sur les réseaux sociaux (en fait, le guide suprême de la Révolution iranien avait plutôt évoqué l’élimination du régime sioniste), pendant que l’ex-Président américain voyait ses comptes suspendus.

«Les bureaucrates des Big Tech ne sont pas les arbitres de la vérité. Des oligarques au-dessus des lois n’auront plus le pouvoir de museler les Floridiens qui s’opposent au discours dominant dans les grands médias ou qui dérogent à l’orthodoxie de la Silicon Valley. Nous, le peuple de Floride, allons maintenant rendre les Big Tech responsables devant la loi.»

Des lobbys proches des grandes plateformes tels que NetChoice n’ont pas tardé à réagir. Vouée «à la libre entreprise et à la libre expression» sur Internet, selon son site officiel, ce groupe de pression s’honore de compter Twitter et Facebook parmi ses membres officiels!

«Ce projet de loi nous rapproche d’un Internet géré par l’État où le gouvernement peut sélectionner les gagnants et les perdants. En écartant des entreprises comme Disney et Universal, la législature de Floride a révélé sa ferveur anti-tech et sa véritable intention de punir les réseaux sociaux soupçonnés de parti pris anti-conservateur», a dénoncé au Los Angeles Times Carl Szabo, vice-président et avocat de NetChoice.

Selon Michelle Blanc, il y a fort à parier que les grandes plateformes intentent rapidement des poursuites pour contester la loi devant les tribunaux. Dans les prochaines années, le rapport de forces restera à l’avantage des grandes plateformes, mais ces dernières pourraient adopter une posture plus défensive:

«Les Big Tech vont commencer à faire attention. Elles seront sans doute moins pressées de suspendre le compte de personnalités associées à la droite ou aux Républicains. Entre les Big Tech et les États, ce sera encore David contre Goliath, mais David sera un peu mieux armé», se réjouit notre interlocutrice.

Par Jérôme Blanchet-Gravel © Photo / Pixabay / FirmBee

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